54.
Deux Princesses
Comme la plupart de leurs compagnons, Kira et Sage regagnèrent leurs appartements pour se reposer. Les exercices à l’épée et la balade à cheval attendraient au lendemain. Le jeune homme se dirigea d’abord vers la grande cage afin de vérifier les progrès de la couvée. Le faucon sembla comprendre ses intentions et quitta un instant son nid pour lui permettre de contempler ses petits trésors.
— Si tu continues comme cela, nous devrons leur céder la chambre, se moqua Kira en s’asseyant sur le lit.
— Une fois qu’ils seront grands, les oisillons s’établiront sur un autre terrain de chasse, affirma Sage. Malgré toute leur affection pour leurs petits, les parents les forceront à partir et à vivre leur propre vie.
— Mais ton amoureuse à plumes en aura d’autres.
— Ce n’est pas mon amoureuse, protesta Sage en se retournant vers elle.
Au même instant, de petits coups furent frappés à la porte. Leurs sens invisibles les avertirent qu’il s’agissait d’une femme… Amayelle. Kira se précipita pour ouvrir. La princesse lui parut tremblante et effrayée.
— Majesté, fit Kira en s’inclinant avec respect. Dites-moi ce qui ne va pas.
— Le Roi d’Émeraude m’a donné une chambre somptueuse non loin dans le couloir, mais je n’ai jamais habité une maison humaine.
Cachant son amusement, Kira avertit Sage par voie télépathique qu’elle passerait les prochaines heures en compagnie de leur invitée.
— Ne sera-t-il pas fâché que vous passiez tout ce temps loin de lui ? s’inquiéta Amayelle.
— Sage ? Non. Il sait que des époux ont parfois besoin de latitude pour réfléchir ou faire autre chose. Et nous sommes des Chevaliers d’Émeraude, alors nous sommes parfois séparés lors de nos missions.
— Et vous réussissez à préserver votre bonheur ?
— L’amour ce n’est pas seulement une forte attirance physique pour un autre être. Enfin, pas pour Sage et moi. Ni la distance ni le temps n’altéreront jamais les sentiments que nous éprouvons l’un pour l’autre.
Kira la raccompagna dans ses appartements. Elle lui montra le fonctionnement de tout ce qui l’entourait. Amayelle écouta ses explications en ouvrant de grands yeux étonnés, puis s’assit sur le matelas mœlleux de l’énorme lit.
— J’aimerais aussi porter des vêtements humains, ajouta la Princesse des Elfes, maintenant rassurée.
— Rien de plus facile, répondit Kira. Je possède un grand nombre de belles tuniques que je n’ai jamais eu l’occasion de porter et nous sommes de la même taille.
Kira s’empressa d’aller chercher toutes ses robes roses, bleues, vertes et jaunes, car elle préférait porter du violet ou du blanc. Elle les offrit à Amayelle qui caressa les tissus soyeux avec l’émerveillement d’une enfant. Chez les Elfes, il n’existait qu’une seule étoffe, grise ou verte, très mince mais résistante, qui protégeait le corps d’une façon étonnante.
— Comment les humaines coiffent-elles leurs cheveux ? voulut savoir la princesse.
— La plupart les attachent ou les tressent.
Kira s’installa derrière la jeune Elfe. Elle glissa ses griffes dans ses cheveux fins aussi pâles que le soleil et les entrelaça en une longue tresse dorée semblable à celle que portait Ariane. Elle en attacha ensuite le bout avec une petite lanière de cuir, puis tourna Amayelle en direction d’une glace retenue dans un cadre de bois ouvré. Un magnifique sourire apparut sur le beau visage de l’étrangère.
— Nogait vous aime telle que vous êtes, Amayelle, lui dit Kira en la regardant admirer son reflet. Vous n’avez pas besoin de devenir humaine.
— Je ne le fais pas pour lui, mais pour moi, répliqua la princesse. J’ai envie d’une existence différente, Kira. J’ai envie de cesser de ressembler à toutes les autres femmes de mon peuple. Je veux partager la vie d’un homme parce que je l’aime et parce qu’il fait vibrer tout mon être. Je ne veux pas le faire parce que c’est mon devoir. Est-ce que vous comprenez ?
— Oui, probablement mieux que quiconque.
Kira lui raconta sa vie au Château d’Émeraude et tous ses efforts pour s’assurer une place dans un monde où personne n’était de la même couleur qu’elle.
— C’est vraiment difficile d’être appréciée quand on est mauve, soupira-t-elle.
— Mais tu es la plus belle femme qu’il m’ait été donné de rencontrer, assura Amayelle.
La Princesse des Elfes prit la main de Kira pour la serrer dans la sienne avec amitié. Elle était sincère et cela réchauffa le cœur du Chevalier. Elles continuèrent de bavarder de tout et de rien jusqu’à tard dans la nuit. Lorsque Kira retourna chez elle, elle trouva Sage endormi. Elle jeta un coup d’œil au faucon qui couvait toujours ses œufs, se défit de ses vêtements et se faufila sous les couvertures. Elle avait enfin une véritable amie, quelqu’un qui la comprenait parce qu’elle vivait exactement la même chose.